Mon très cher Lloyd,
Je dois dire que cela fait des mois que je n’ai plus porté entre mes doigts cette plume autrement que pour envoyer des missives officielles, et je le déplore aujourd’hui. Je n’ignore pas quels sont les sentiments (les poids) qui ont freiné tout élan de ma part vers ma vie d’avant (celle que j’ai laissée derrière), mais en ce jour je peux voir à quel point j’ai été bête. Alors accorde-moi cette lettre sans la froisser ou la déchirer avant d’avoir fini de la lire, et permets-moi d’écrire ce que je n’ai pas osé te dire.
Je suis désolé.
Je t’ai aimé un peu trop fort, et aujourd’hui j’ignore si mes sentiments à ton égard sont morts ou endormis, mais ils me serrent la gorge et ne me font plus rire comme aux beaux jours de nos vies. Je t’ai aimé ou je t’aime, quoiqu’on en dise, et c’est pour ne plus jamais m’autoriser cela, en partie, que je suis parti.
Tu as raison. A cette époque je me suis détourné de toi car j’avais peur d’être heureux, sans Lucrecia. J’avais peur de sa colère, de sa rancœur, si je venais à lui tourner le dos. Je ne le dirai qu’à toi et à toi seul. J’ai peur que tu me prennes pour un fou, mais je t’en prie n’alerte ni les mages ni mes parents, garde-le pour toi.
J’entends la voix de Lucrecia.
Tous les jours, qui me dicte ma conduite, qui me donne l’ordre de les brûler tous, de les lui envoyer lui tenir compagnie. Je l’entends me demander de mourir et je deviens paranoïaque. J’ai peur que des monstres viennent me chercher et m’emmènent la retrouver où il fait sombre, où il fait noir. J’ai tellement peur de mourir. Au festival de Malronce, Asteria m’a informée qu’elle avait vu Lucrecia. Puis il a fait noir, et des monstres sont apparus. J’étais terrifié, et je ne me suis pas réveillé de ce cauchemar.
Depuis je n’entends plus la voix de Lucrecia.
Je crois qu’elle est revenue me hanter, et je dois en avoir le cœur net. Je retourne à Malronce la chercher. Cela peut te paraître invraisemblable, et j’ignore pourquoi je te raconte tout cela. Peut-être ai-je besoin de croire que je ne suis pas totalement dégénéré.
Même ça, je te l’écris plutôt que de te le dire car je n’ai plus le courage de faire face. J’ose espérer qu’un jour tu ais assez de place en toi-même pour me pardonner d’avoir été si lâche.
Ton ami,
Roman Harcourt.