Bonnibell épuisée ne souhaitait plus que se poser. Elle avait passé sa journée à cheval à l’approche de la capital, mais la nuit était tombée trop vite et il n’était pas prudent de chevaucher de nuit, alors elle s’était arrêtée à la première auberge qu’elle avait trouvé. Son cheval à l’écurie et son visage a moitié caché sous sa lourde capuche elle était entrée dans un approximatif silence qui n’existait que la nuit.

« Bonsoir, j’aimerais une chambre s’il vous plais. »

L’homme la regarde un instant trop longtemps mais ne fait pas de commentaire, alors elle se contente de son visage d’acier orné d’un petit sourire courtois. Elle ne cherchait les ennuis et n’avait aucune envie d’en provoquer, plutôt encline à ne rester qu’une nuit et repartir dès que le soleil se lève. Il valait mieux ne pas rester trop longtemps au même endroit. Elle ne voulait être retrouvée ni découverte, sous peine de devoir sortir son épée.
Elle était furieuse mais pas cruelle et le sang ne saurait être versé inutilement. Elle n’était pas Malronce.

Une main sur le devant de sa cape elle se dirige vers sa chambre, trop désireuse de la retirer et se préparer pour aller dormir. Il faisait beaucoup trop chaud à son goût ces temps-ci et elle n’avait jamais été à l’aise avec les températures hors de Briserune, alors porter sa cape, même si elle ne se sentait de s’en séparer, lui pesait considérablement.
Une main sur la poignée, elle s’arrête un instant, prise d’un mauvais pressentiment, mais le repousse d’une secousse de la tête. Dans une auberge perdue de Belorge et armée comme elle était elle n’avait pas grand chose à craindre. Alors elle pousse la porte , défait sa cape pour la jeter sur le lit dans le même mouvement.
Et lorsque la porte se referme.
Le froid du métal se dépose contre sa gorge et le monde semble s’arrêter.
Sa main vole à sa propre épée mais la lame est déjà trop pressée contre sa peau, alors sans un mot, elle s’immobilise.
Histoire de ne pas mourir.

« Quelqu'un souhaite votre mort et j'en suis sa main. »

Son souffle tremblant dans sa gorge immobile contre le métal et perplexe Bonnibell fronce les sourcils. Elle ne voyait qui pouvait vouloir sa mort; ou plutôt, elle ne voyait qui, de ceux qui la voulaient morte, pouvait s’y prendre de telle manière. Mais elle tenait à la vie maintenant qu’elle l’avait aquise et ses doigts se crispent, prète à bondir; et tant pis si sa gorge s’ouvre, elle ne mourra pas sans avoir les crocs enfoncés dans de la chair.
Et l’assassin continue de parler et quelque chose la dérange. C’est dans le ton ou dans la voix, c’est cette petite voix qui lui dit.
Attend. Et écoute.
Mais son instinct est sauvage et elle a la rage au coeur, alors elle tremble et crache.

« Qui vous envoie? Trop de gens veulent étrangler les derniers survivants et je ne pensais avoir laissé de trace derrière moi. »

D’un mouvement ses doigts se referment sur l’arme de l’assassin, prête à saisir la lame et la tirer d’un coup sec, quitte à se trancher la peau -mieux valait ses entailles à soigner que de perdre la tête. Mais elle ne force pas et son toucher n’est qu’une caresse, parce qu’au premier mouvement tout pouvait s’arrêter.
Son coeur palpite et la respiration haletante, elle sait avoir son épée à portée de main mais la dégainer lui prendrait bien trop de temps. Alors elle se remémore ses échange au corps à corps, ceux auxquels elle s’est entrainés, avec son père, avec ses frères -avec le seul grand frère qui comptait vraiment sans être de son sang.
Un coup dans le ventre et ses doigts se referment sur la lame, la douleur vive mais effacée par l’adrénaline. Et dans le faible espace elle se retourne, son visage si proche et dans ses yeux il peut lire l’envie pur de vivre et la rage de vaincre. Mais dans ses yeux à lui elle y voit quelque chose.
Et c’est ce quelque chose qui la fait plisser des yeux sans l’étrangler.
Sans essayer.
Il pouvait retirer son arme de sa prise et la poignarder comme il pouvait la pousser suffisamment fort pour qu’elle se fracasse le crâne.
Mais elle voit de l’humain dans ses yeux, dans le peu qu’elle distingue dans le noir et tremble, fragile, délicate et sauvage.

« Tuez-moi. »

Tout semble s’arrêter et Bonnibell ne respire plus, parce qu’elle sait que si son souffle s’échappe l’horloge continuera de tourner. Mais ses yeux, ses yeux, elle les connait et elle le sait, elle se souvient, son enfance, sa vie passée avec lui, les yeux dans les yeux et les sourires innocents d’enfants encore trop jeunes pour comprendre.

« Bo… Bonni' ? C'est toi ? »

L’incompréhension et la joie folle qui s’empare d’elle la font trembler lorsque ses doigts quittent leur poigne pour grimper vers son visage. Vers son visage.
A lui.

« Elías? »

Un murmure parce qu’elle n’est pas sûre et ne veut pas réveiller les morts. Ni les vivants si ce n’était qu’un rêve égoïste et déchirant, mais la douleur de sa main était trop présente et-
Les larmes montent.
Elle le croyait mort.
Rasé avec le reste de Briserune, à survivre dans les souvenirs de cendre et de rires. Dans ses souvenirs d’enfant, ses douces années dans son royaume avec son prince et son chevalier, avec sa famille et son sang. Quand ils passaient des journées à trois dans la forteresse et quand la guerre n’avait pas encore arraché leur innocence déjà meurtrie. Et y penser lui faisait mal, horriblement mal, assez pour qu’elle enferme ses souvenirs profondément, pour les ressortir une fois sa vengeance faite et son enfance prête à être endeuillée.

Mais tout ses souvenirs refont surface et ses larmes coulent sur ses joues, un sourire incertain et lumineux dans la pénombre. Elle s’y était habituée et elle voyait ses traits et son visage qu’elle avait trop souvent fixé, et s’il avait grandis en dix ans elle ne l’oublierait jamais.

« Elías, oh Elías c’est moi, Bonnibell, tu ne rêves pas, on ne rêve pas, c’est bien réel. »

Elle rit et s’étrangle et ses doigts caressent ses joues et son corps contre le sien -elle voulait s’en imprégner pour ne jamais le quitter, le garder avec elle jusqu’au bout du monde. Elle ne voulait plus partir et le laisser derrière, elle ne voulait plus briser de promesses.

« Je t’avais promis qu’on se reverrait, hein? »

A trois et il en manquait un, mais elle ne pouvait se résoudre à y penser, parce que la seule chose dont elle était certaine c’était que les Riegel avait été ravagés.
Et le petit frère de sa vie comme un trou dans sa poitrine ne saurait lui manquer assez.

Elle avait toujours excellée dans le déni, Bonnibell.

Elle sent ses doigts essuyer les larmes de ses joues et son sourire incontrôlable tire ses lèvres, encore plus lorsqu’elle sent ses lèvres sur son front. Ca faisait trop longtemps. Pressée contre lui les yeux clos elle respire enfin, et son parfum a un goût amer d’une enfance volée trop brutalement -mais d’une enfance avec des gens qu’elle aimait, alors elle s’accroche à ça avec la même force qu’elle s’accroche à lui.

« J'ai perdu le fil des années… Combien de temps Bonnibell… ? »

Elle aurait secoué la tête s’il ne la tenait pas, alors elle se contente d’un regard, un peu triste, mais surtout euphorique.

« Trop longtemps. »

Huit ans. Huit ans depuis la dernière fois qu’elle avait voyagé à Briserune quelques jours et qu’elle l’avait vu; ils avaient échangé des lettres, mais c’était pas pareil. Puis la mort les avait arrachés de leurs cocons, et elle s’était enfermée dans son deuil. Mais elle avait une personne en moins à endeuiller, une personne qui l’écrasait contre elle sans qu’elle n’y trouve à redire. Parce qu’il y avait plus de chaleur qu’elle n’en avait eu ces dernières années, et que pour une fois, c’était une douleur bienvenue. Si elle pouvait mourir dans ces bras, ça serait une bonne mort. Chez elle.

Mais Elías s’éloigne à nouveau et elle manque de peu de protester, tout juste stoppé par la panique dans ses yeux.
« C'est… C'est pas le moment. Quelqu'un veut ta peau Bonni. J'ai reçu l'ordre de… De mettre fin à tes jours. »

Un rire court s’échappe de ses lèvres et elle secoue doucement la tête, tirant une mèche de cheveux châtain en arrière.

« Beaucoup de gens veulent notre peau de Briserunien. Il ne sera ni le premier ni le dernier à essayer de nous évincer. »

Parce que leur peuple survivra avec le dernier debout et Bonnibell n’avait pas l'intention de fléchir le genou.

« Tu as dis où j’étais? Parce que je voulais juste passer la nuit mais on peut partir maintenant aussi. »

Et puis elle se rend compte du pronom alors ses yeux s’agrandissent et supplient, la peur au ventre et les doigts blancs contre son torse.

« On partira hein? Je ne veux pas te quitter maintenant, pas comme ça. »

Ses bras autour de sa taille et elle enfonce son visage dans son cou.

« Je ne veux plus perdre personne. »