Le corps allongé sur le lit trop dur du conseiller, tu peines à recouvrir les plaies invisibles qui déchirent ton coeur. L'ennui est devenu le reflet de ta folie, et l'impuissance le constat de ton échec à l'oublier. Seraphin, qu'il avait dit sous la contrainte, était-ce un mensonge ? Ou était-ce la cruelle vérité qui ne voulait désormais plus s'échapper de tes pensées ?

Nathanael était occupé, toute la journée.
Et s'il pensait te retenir entre ces murs, il se trompait.
S'il croyait avoir ne serait-ce qu'un peu de contrôle sur ton souffle inexistant, il se trompait.
Il se trompait.

Et tu avais disparu pour te téléporter dans les jardins, poussant les portes du palais pour en sortir. Tu souriais aux gardes avec insolence - ou peut-être avec innocence, mais ils étaient libres de l'interpréter comme ils le voulaient - et tu te mêlas à la foule après avoir marché sur quelques mètres.

Le bruit de la pauvreté qui grouillait les trottoirs sales te fascinait. Tu tentais d'en percevoir des mots, d'en comprendre des maux. La souffrance t'était étrangère, et te ravissait dans sa vivacité contemplative. C'était comme un tableau et tu rêvais d'en être le peintre. Pouvoir les effacer d'un coup de pinceau, d'un trait noir.

Noir.
Tu fermas les yeux pour te concentrer avant de grimacer, visiblement ennuyée par le désespoir qui mendiait sur le bas côté.
C'est quand tu le vis que la toile reprit des couleurs, car il était ce point noir qui attirait tes yeux en son centre. Tu te téléportas derrière lui, provoquant quelques murmures que tu ignoras pour mieux braquer tout tes sens sur lui.
Voulait-il à ce point mourir ?
Ou sa volonté de vivre était moindre face à celle de te tuer ?

— « Je suis seule. Et toi aussi. »

Tes prunelles s'écarquillèrent. Tu semblais folle mais pourtant dans ta tête tout était clair désormais.

— « Je n'ai pas besoin de lui pour me protéger. Je n'ai besoin de personne, d'ailleurs. »

Le caprice éteint, il n'y avait que la passion, obsessionnelle.
Tu attrapas son poignet pour y enfoncer tes ongles (tes griffes) et dans ses yeux se reflétèrent toute la monstruosité que le filtre de ce nouveau monde voulait effacer.
Des cornes, des dents acérées, une longue chevelure d'or tombant jusque dans le bas du dos.

— « Es-tu revenu pour que je t'achève, traqueur ? »

C'était le seul nom qu'il méritait.

Il restait stoïque, impassible, interdit.
On aurait dit qu'il était déjà mort et ça t'insupportait Lux. Tu avais toujours eu l'habitude de provoquer des réactions, que cela soit à travers de ton insolence, de tes caprices ou de ton manque cruel d'empathie. Tu avais appris par coeur les mots qui mettaient Nathanael hors de lui, tu savais quelles images lui montrer, avec quels souvenirs écoeurant tu pouvais polluer ses pensées... mais Seraphin semblait, lui, imperturbable à la moindre provocation.

C'était irritant au point que tu te sentis impuissante.
Pour la première fois depuis longtemps.
Car tu l'aurais bien tué, au milieu de cette foule ou son corps s'effondrerait (bien trop rapidement) mais cela signifiait que tu tuais aussi toute chance de pouvoir gagner.
C'était inacceptable.

— « Oh, tais-toi ! »

C'était sorti comme un crève coeur. Tu avais craché ta haine sans avoir eu le temps de la dissimuler derrière assez de suffisance.

— « Tu ne peux pas me tuer. Et tu ne veux pas non plus, sinon tu aurais déjà essayé. »

Tu détournas le regard, le visage crispé par l'aversion et le dégoût. Cet homme suintait la faiblesse et tu reculas presque - pour ne pas qu'il en vienne à te contaminer.

— « C'est donc toi que l'Ordre a formé pour me renvoyer d'ou je venais ? Pourquoi ne viennent-ils pas eux même me tuer, si ma vie leur importe autant ? »

L'ordre, un concept abstrait que ton humain avait mentionné pour t'avertir des risques. Tu n'y comprenais en réalité pas grand chose, incapable de les situer sur une carte ou de les reconnaitre si tu en voyais un devant toi.
Tu te demandas d'ailleurs du coup s'il n'en faisait pas parti.
Tu aboyas alors :

— « Tu en fais parti, de l'Ordre ? Réponds. »