Mais il n'était pas revenu. Enlevé par des bandits, dévoré par des sables mouvants ou par des bêtes sauvages, déshydraté sous cet implacable soleil que Malronce ne connaissait que trop bien; les possibilités se voulaient multiples, attisant cette angoisse quotidienne que cette mère de famille ne parvenait pas à chasser.
Une étincelle nouvelle vint toutefois raviver les braises de son espoir moribond lorsque les commérages de deux passants parvinrent à ses oreilles. Un homme au loin, accompagné de son sombre destrier, semblait être au cœur de leur conversation; tous deux médisaient sur ce dernier, pointant du doigt son statut de mercenaire sans bonté de cœur, aucune. Un jugement porté suite à la scène dont ils avaient été témoins, alors qu'il venait de rejeter un habitant du village dans le besoin, sans aucune forme de pitié, ni scrupules. « C'est toujours pareil avec les gens de son espèce, tant que la compensation n'est pas à leur satisfaction, ils ne lèveront pas un seul petit doigt » disent-ils, les regards rivés sur le principal concerné.
Mais ces mots, elle n'en avait cure. Pour son enfant, elle ne reculerait nullement devant une telle occasion, quand bien même elle n'avait pas les moyens de s'offrir de tels services; elle devait essayer, tenter le tout pour le tout, quitte à promettre une somme qu'elle s'efforcerait de collecter en vendant le peu de biens qu'elle avait en sa possession ─si peu que même ainsi, elle n'aurait pas assez à proposer au mercenaire. Et pourtant, malgré cette évidence qu'elle ignora de plus belle, cette femme modestement vêtue s'avança vers le jeune homme à la hâte, alors qu'il venait de chausser ses étriers pour prendre son départ imminent.
Une description détaillée accompagnée d'une vague d'informations, tout ce qu'elle avait jugé utile voire nécessaire afin d'optimiser les recherches de son fils, elle avait tout dit. Mais lorsqu'elle fit finalement son offre au mercenaire ─sur le visage duquel elle avait pu lire son scepticisme avec autant de clarté qu'un ciel pur et sans nuages─, un nouveau refus la heurta de plein fouet. Pire encore, les mots cassants du Malronçois lui transpercèrent le cœur. « Votre enfant est probablement déjà mort, après tout ce temps » avait-il osé lui déclarer, sans même broncher, ni éprouver ne serait-ce qu'un semblant de compassion. La vie était ainsi faite; jonchée d'injustices et de malheurs, répartis de manière bien trop inégale. Et si certaines causes valaient la peine que l'on se batte pour elles, d'autres n'étaient que vaines et sans espoir; sa logique doublée d'une pincée de réalisme, Stolas avait alors classé le cas de cet enfant parmi ces dernières, avant de quitter les lieux au galop, laissant derrière lui une mère noyée dans sa détresse mêlée à un désespoir qui la prenait à la gorge.
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Sous un soleil de plomb, les sabots de Thorongil battaient les terres arides du canyon, en route vers une destination aux us et coutumes moins rudimentaires, en comparaison au village que le mercenaire avait quitté il y a de cela maintenant plus d'une heure. Le trajet était encore long, et quiconque souhaitait aller loin se devait de ménager sa monture; une pensée qui incita alors le Malronçois à faire halte l'espace d'un instant, à l'ombre d'un arbre solitaire.
Les secondes se transformèrent rapidement en minutes, tandis qu'il étudiait sa carte avec intérêt, l'air pensif. Un train de réflexions qui fut cependant brutalement interrompu par les hennissements furibonds de son compagnon équidé, lequel soulevait quantités de poussière en battant frénétiquement le sol d'une rage que Stolas peinait à comprendre. Alerté par une telle scène, ce dernier se redressa sur ses jambes pour finalement constater le cadavre gisant d'un serpent réduit en charpie.
─ Qu'est-ce que… Non, Thorongil, reviens ici !
hurle-t-il à l'adresse de son cheval en fuite, qui préférait s'éloigner d'un danger pourtant écarté avant de faire halte quelques dizaines de mètres plus loin.« Oh, je te jure… ! » avait-il ajouté pour lui-même, avec un soupir d'exaspération. Néanmoins inquiet pour son fidèle compagnon de route, Stolas rejoignit celui-ci au pas de course et s'empressa de vérifier chacune de ses pattes individuellement, priant pour n'y distinguer aucune morsure empoisonnée.
─ Imbécile, ne me fais pas peur comme ça…
lui dit-il après une inspection non-concluante, tout en posant délicatement le front contre le chanfrein de l'équidé.Le danger n'étant plus, il était temps pour lui de reprendre sa route vers Roseraie. C'était toutefois sans compter sur l'étrangeté d'une scène qui se dessinait non loin, au creux des sables chauds teintés d'une couleur vermeille brûlée par le soleil. Ses sens en alerte, Stolas vint inspecter les quelques traces encore visibles, suivant le chemin qu'elles dépeignaient de son regard sceptique. Un parcours sur lequel gisaient un carnet, une gourde percée hors d'usage, un compas, ainsi que d'autres utilitaires de voyage; le sang asséché à même le sol était-il celui d'un pauvre pèlerin frappé d'infortune ? Une question à laquelle le mercenaire trouva la réponse en un cadavre humain dévoré jusqu'aux os, quelques mètres plus loin; une troupe de charognards s'affairait dores et déjà à se délecter des restes, au milieu de dizaines de mouches.
Un spectacle horrifique, mais malheureusement peu surprenant en ces terres hostiles. Stolas se concentra alors sur les curieuses marques qui trahissaient la présence d'une bête sauvage, laquelle semblait s'être dirigée vers une grotte, traquant une éventuelle deuxième victime, à en juger par le sol jonché d'objets, ainsi que la besace abandonnée à l'entrée de la caverne. Le canyon des terres Malronçoises ne connaissait ni miséricorde, ni pitié; les plus faibles périssaient au profit d'êtres plus puissants, et le mercenaire ne donnait pas cher de la peau du malheureux qui avait été assez naïf pour s'imaginer que les grottes constitueraient un refuge sûr.
Et pourtant, en dépit de son désintérêt envers la vie de son pair condamné, le cri strident qui parvint jusqu'à lui ─au cœur de la pénombre qui régnait entre ces murs rocailleux─ poussa le Malronçois à faire volte-face; ce n'était pas un homme, ni une femme… Il y avait, à l'intérieur de ce gouffre ténébreux, un enfant piégé. Et si Stolas n'était ni un héros, ni un bienfaiteur charitable d'aucune sorte, ses pas le guidèrent machinalement vers cette obscurité grandissante, comme captivé par une inébriante curiosité à laquelle il se laissait rarement aller.
« halloween »