Les règles du monde sont simples quand nous acceptons de nous éloigner de celui-çi. Nous pouvons les résumer en gain et perte ces marqueurs immuables du monde et la corruption que ceux-ci apportent. Lui n’était affecté par rien, il était un mesquin satyre qui contemplait ces choses frivoles qu’on étalait sur ses yeux fendus. Un marché, voici le lieu qui représentait le plus ses pensées actuelles. Alphonse avait connu la gloire des marchands de tissus qui se laisseraient enroulés leurs jolis cheveux autour de ses pieds pour un peu de son argent et par chute de sa naissance, Alphonse avait connu l’inverse les petits misérables qui lui vendent un morceau de viande avec le mépris dans le regard et la bave de la peur sur leurs lèvres menteuses.

Il n’avait que désintérêt et ennui pour ce monde effervescent et de ses mains il caressait autant les femmes que les fruits. Voletant entre les étals, il contemplait avec cet étrange amour les mots malronciens qui fusaient dans l’air. Il se sentait chez lui, ce qui lui donnait cette sensation de puissance et d’appartenance. Alphonse se sentait tout puissant et cette sensation était aussi délicieuse qu’un nouvel être dans ce monde. Il se sentait seigneur dans les regards admiratifs sur sa personne, la flatterie ne l’émouvait guère ordinairement mais ce n’était pas l’ordinaire.

Sa bouche l’emprisonne une autre, ses bras s’enroulent encore une fois. Sont-ils las des multitudes de corps et de cheveux qu’ils les ont bénis d’une pression sensuelle ? Cependant cette femme sans nom qui avait cédé a été effacée de son esprit, il en voyait une autre. Elle était belle comme des autres n’ont jamais pu être, une longue chevelure blonde qui appelait les maisons-dieux à se répandre dans la honte de ne pas être atteindre cette clarté. Elle n’aurait pas été remarquable si sa beauté était la seule chose qu’il avait capté de l’inconnue, c’était ses gestes qui avait fini par le détourner complètement de la nouvelle banalité qui ronronnait dans son étreinte. Elle volait avec le dédain des nobles-nés du bout de ses longs doigts joueurs. Son maintien était altier mais les mouvements de sa tête semblait erratique, tel un rire qui sortait par fragments agacés et brefs. Voici qu’il s’avance vers elle sans jamais se stopper, il voulait son attention. Elle était jeune, donc proie aisée pensait-il. Qui était-elle ? Une princesse capricieuse était possible mais les princesses de Malronce n’étaient pas dispersées comme le mauvais blé après la moisson? Les indices étaient présents et se détruisaient mutuellement tandis qu’Alphonse saisit d’une main ferme l’objet de convoitise qui trônait dans la prise de cette nymphe :

-Il faudrait pas attirer la garde avec votre comportement, mademoiselle. N’avez-vous que peu de respect pour les honnêtes charlatans qui habitent ce lieu ?

Cette pomme trouva un chemin bien aisé à sa bouche, ses dents déchirant la chair ferme de ce fruit. Des yeux furieux s’enfonçaient dans les siens, mais il en avait que cure car une pensée virulente se planta dans son être.

Elle était belle à mettre la mort en honte.

Il y a très peu de choses qui ne mettent pas en émoi Alphonse. De ce monde changeant, à cette vie pulsante il s’enivre dans ces possibilités infinies. Mais quand son regard se reflète dans celui opalin de son interlocutrice, le monde perd de sa Superbe. Il est époustouflé, ébahi, terrassé. Et le monde se sied à elle dans l’espoir d’atteindre cette simple présence qui est l’appel au crime.


Il ne tremble pas devant elle, ses yeux suivent le mouvement du rouge tentateur sur ses lèvres pulpeuses. C’était terrifiant cet envoûtement, cette puissance calme qui semblait frémir d’une rage contenue. Alphonse recule d’un pas, son éternel sourire semble vouloir dévorer ces joues blafardes tant il se fait carnassier. Il a peur et il aime, il craint et il adore, il jouit de cet enfant en lui qui le secoue de partir. Par quelques mots, cette femme lui donne des pistes de compréhension et les consomme avec la succulence des capricieuses. Qui est-elle ? Cette question deviendra une obsession mais là n’est pas l’heure. Il faut jouer, jouer pour maintenir cette flamme brûlante.

Sa main se fait vive, qu'elle arrache autant qu’elle caresse, cette main féminine qui a prit la pomme. Il la domine de sa grandeur et son ombre, jetée sur elle, lui donne une sensation de puissance. Ses doigts jouent avec la surface joufflue du fruit, fier de sa force affirmé. Il rallie de sa voix suave ce bout d’enfer qui voudrait dire sien :

-Vos choses ? C’est un peu présomptueux de dire ça alors qu’on vole impunément. Il faudrait vous rendre à la police, avec un si charmant minois vous pourrez voler bien autre chose.

Son rire glisse, annihile cette barrière froide qu’elle tente de créer. Il agit comme si elle n’était Rien, comme si cet échange n’avait ni valeur ni sens. Alphonse met le masque de l’indifférence pour cacher sa faim et cette faim primitive s’agite en lui sous ses babines tirées.

Sa bouche s’appuie là où leurs lèvres se sont croisés à si peu de temps d’intervalle. Il s’enivre de cette pensée, de ce futur festin à venir. Mais sa contenance reste souple, car si il se trahit maintenant la bête partira. Quel futur ennuyeux cela serait, lui qui ne la connaissait qu’à peine sentait déjà poindre en lui ce sentiment de vide si pressant. Une horloge à qui il manque les marqueurs. Un ciel sans soleil. Ce sentiment d'incomplétude est celui qui avait été le sien avant que son regard se pose sur cette femme blonde. Une question s’enfuit malgré lui, pour lui tandis qu’il commence à mâchonner le premier bout qu’il avait pu voler :

-Et pour faciliter le travail de ceux très généreux qui viendront mettre un terme à cette ignoble vol envers ces humbles paysans, quel est votre nom ? Si vous ne le dites pas, je vais vous en affubler d’un parfaitement horrible pour le seul plaisir de votre réaction. Vos choses sont désormais les miennes.

Cette phrase sonne délicieusement, un appel à la vie détruite et profane qu’il vient d’émettre.

Elle ondule et glisse avec une âme liquide qui s’enroule autour de lui, suffocante et magnifiante. Elle semble jouer sans se tâcher et sa fureur n’était pas de celle dont il faut rire. Voici qu’il était fasciné Alphonse sans d’autres termes pour décrire cet état second, il fallait de l’audace pour le tenir ainsi. Sous dépendance et son influence semble être empirique, il s’enfonce et succombe. Son coeur devient froid et son âme brûle des feux du temps des cerisiers dépouillés.

La créature parlait et glissait dans ces mots la présomptive force de celle qui savait tout avoir et souffrir d’aucune conséquence. Elle était en lui comme si elle avait toujours été là, il était une Danaïde. Une femme qui désirait remplir son tonneau percé des attentions dispersé de cette chose qui avait l’apparence d’une femme et l’aura d’une divine force.

Sa voix suit la sienne et ses mots sibyllins viennent chanter avec ceux rudes de son interlocutrice :

-Vous n’êtes qu’audace et suffisance, le monde vous a t-il déjà rempli ? Oh, mais expliquez moi. Montrez moi votre possession et voyons si votre pouvoir est à la hauteur de votre bavardage.

Il taquinait, piquait avec ses mots habiles comme des demis vérités. Le sens des mots n'importait peu car voilà que les ressorts de cette femme se met à se mouvoir. Dans cette force étrange, elle tournait. Elle allait chuchoter son nom comme un secret et ce secret n’était que son nom. C’était un secret superbe, un secret qui lui donnait puissance et contenance. Mais, il n’était pas dupe. Oh non. Alphonse sentait dans les intonations suaves et dans ses mouvements une grâce mortelle. Il se penche vers elle, en elle. Il était confident et avide, jouissant de cette confession comme si c’était celle d’une haine éternelle.

Une syllabe tombe dans son oreille et tout le monde se remplit d’un sens. Lux, lumière. Lux, ténèbres. Lux, destruction. Lux ou appel de la déraison. Il enfle, il a un nom. Alphonse sait et sent qu’il est béni par cette réponse. Et pourtant, un poids sur son coeur semble appeler le malheur. La gardienne de ces sens lui disait de fuir et de mettre de la distance, car Lux semblait présager une existence tumultueuse. Elle écoute ses prophéties et devine son nom dans une danse lugubre des mots. Elle n’était pas humaine, voici la vérité des pupilles ferventes de Lux. Il hurlait mais son sourire ne semblait pas bouger de ce fin ligament entre raison et chute.

-Eh bien ma chère Lux.

Ce son était un délice sans cesse consommé

-Voyez vous ça. Vous avez deviner mon nom du premier abord, ce n’était pas chose commune. Les créatures d’un autre monde ont vraiment un charme capiteux n’est-il pas? Mais partageons nous désormais une même destinée, car mon nom est le vôtre et le vôtre est le mien. Lux, que désirez vous avoir maintenant ? Que désirez vous revendiquer comme votre ?

Sa curiosité se nourrissait et devenait boule dans son corps tendu :

-J’aimerai bien posséder des choses qui ne viennent pas d’ici.

Attrape ce sous entendu et fais le tien, Lux. Car il est comme un humain désirant les étoiles, il désire la sidération magnifique de son être.