— Tu dois trouver ce démon, Séraphin.
Tu dois le trouver et l’achever.

Alors il était parti, Séraphin, sans un mot malgré les merci du coeur hurlant de lui avoir enfin offert quelque chose. Peu importe qu’il s’agisse d’une malédiction, il débusquera ce monstre et lui tranchera la gorge de ses propres mains s’il le faut. Il n’y avait aucun droit à l’échec.

Des jours durant il avait arpenté les terres de son monde, questionnant ses idées et ses pensées, demandant à son instinct de le guider, et cette voix après plus d’une semaine avait finit par mener ses pas en Malronce dont les paysages lui semblaient aussi hostiles que l’étaient ses habitants -des rumeurs qu’on lui contait, des rencontres qu’il avait fait, de ces choses qu’il tenterait d’apprendre par lui-même désormais.

Il avait dû se préparer,
Se faire confiance,
Ne plus douter.

L’épreuve fut difficile mais elle l’amena en plein milieu du grand canyon -et s’il venait à te tuer aujourd’hui, toi dont il ne savait toujours rien, soit sûre qu’il ne saurait retrouver son chemin. Alors lui aussi, comme toi, mourrait simplement. Sous une chaleur atroce, à cause de ses jambes fatiguées, de son estomac qui grondait de n’avoir pas mangé depuis la veille afin d’économiser ses maigres rations. S’il arrivait à se téléporter chez lui tout irait mieux, seulement il n’était pas certain de pouvoir y arriver.

Alors gentil démon, c’est humblement qu’il t’en fait la demande avant même de croiser ton regard…

Permet lui de te tuer rapidement.
Retourne chez toi qu’il puisse en faire de même.

Ainsi il avait su.
D’instinct sans même avoir eu besoin de t’observer de plus près.
D’aussi loin qu’il se trouvait, de là où il te voyait, il avait su.
La lame avait sifflé jusqu’à ton épaule, d’un geste souple il l’y avait plantée.

Est-ce que ça fait mal ?
Enchanté joli démon, lui c’est Séraphin.

Et son seul regret aujourd’hui est d’avoir manqué son coup.
Ta tête.

Il n’aurait su dire si tu ressemblais à une princesse ou à un monstre, peut-être bien les deux -et s’il ne savait pas alors tu ne serais simplement rien. À ses yeux pas plus que cette enveloppe qu’il devait éliminer au plus vite car tels étaient les ordres pour la paix de Valdore. Pourtant, s’il possédait une maîtrise de l’arme quasi parfaite, ses instincts de défense étaient à revoir, et de ton visage sans expression il en avait perdu la trace avant que sa lame ne se retrouve plantée dans ses côtes.

Un souffle sous la douleur.
Une inspiration.
Et ses doigts qui se crispèrent autour de ton poignet tandis qu’il retirait à la fois ta main et son poignard de son corps meurtri.

— Je ne peux pas faire ça.

Ça n’était pas les ordres, ça ne serait pas logique.
Ça ne servirait qu’à faire durer plus longtemps un échange qui durait déjà bien trop pour lui.

Alors il appuya sur ton poignet pour te faire lâcher son arme et dans un même mouvement te tordit le bras, pour te plaquer brusquement face contre les roches de ce canyon inconnu.

— Laisse-toi faire, murmuré au creux de l’oreille, lui penché au-dessus de toi.

Laisse le te tuer.

— Ne rends pas les choses plus difficiles.

Parce qu’il n’en a pas réellement envie.

Il n’y avait rien à rétorquer à tes mots, à cet instant tout ce qu’il aurait pu te répondre aurait été vide de sens. Qu’il soit désolé ou qu’il ne veuille pas réellement le faire, qu’importe ? Il était là, contre toi à presque t’écraser contre la roche et toi tu étais là, joli démon, à glousser -et tu semblais presque si heureuse qu’il s’en sentit troublé sur l’instant. Juste avant que tu ne te mettes à crier.

Des mots qu’il ne prit pas le temps de comprendre avant de s’effondrer genoux au sol dans un hurlement.

Est-ce que ça te plaît de le voir se tordre à tes pieds ?
Réponds lui Démon, est-ce que ça te plaît ?

Tandis que son esprit s’embrouillait, Séraphin se croyait mourir à la place de celle qu’il devait tuer. Les nerfs à fleur de peau, l’impression d’un corps en lambeaux, de plaies à vif qui brûlaient brûlaient brûlaient ! De la tête aux pieds. Du coeur à l’âme à en perdre la raison. Il souffrait, il gémissait ses complaintes en tentant le moins possible de bouger les lèvres car de sa bouche aussi la peau brûlait -elle brûlait de ces piques invisibles que tu lui plantais sans honte et sans peur.

Sur chaque petit millimètre de ce qui le constituait.
Un millier de piques.
Sur un seul millimètre.

La tête qui commence à tourner et il se fit aveugle pour ne plus avoir à supporter l’horrible lumière qui lui arrachait les rétines -et malgré la torture il parvint encore à bouger. Faiblement, à peine assez pour enserrer ta cheville avant de lâcher à nouveau un cri, rauque de sa voix déjà brisée.

Tu sais, il s’était demandé, Séraphin, comment tu faisais pour détruire ce rien qu’il était.

Ça lui avait permit de rester vivant.
De se concentrer, de retrouver lentement un peu de conscience pour guider son corps à l’agonie. D’autres appelaient ça la volonté de vivre, lui ne mettait pas de mots dessus. Simplement une rage féroce pour retrouver la force de t’infliger
À toi aussi
La tyrannie qu’il subissait.

En silence.
Sans rien de plus que des hurlements.

Il avait cru mourir et n’entendait plus rien pas même ses plaintes ni tes ordres hurlés, alors quand l’agonie s’arrêta subitement il en oublia de respirer un instant. Les sensations toujours accrochées au corps, il n’osa se reprendre lentement que lorsqu’il t’entendit crier à ton tour (réellement cette fois) et alors les souvenirs de son supplice lui revinrent comme une bombe en mémoire, les secondes avant et les minutes pendant.

Séraphin, toujours à genoux sur le sol tourna la tête, fébrile, pour observer ta douleur de ses propres yeux -et s’il avait su comment arrêter tout ça il l’aurait fait, tu sais ? Seulement il avait oublié, l’esprit toujours embrouillé des instants d’avant, alors presque en rampant (le corps beaucoup trop engourdi pour qu’il puisse se redresser) il s’était glissé jusqu’à toi gisant face contre terre à l’agonie. Son regard capta les traces griffes, la violence avec laquelle tu te battais contre le mal fit étrangement écho en lui.

Si tu savais combien il aurait aimé ne pas avoir à continuer tout ça.
Pourtant, redevenu presque totalement maître de ses mouvements malgré la plaie de ses côtes qui ne cessait de saigner, il t’avait retourné rapidement, usant d’un peu de force pour te maîtriser.
Et tandis que tu mourrais sous la douleur lui porta ses mains à ta gorge.

— Finissons-en rapidement.

Pour qu’à deux vous puissiez trouver la paix.
Séraphin était déterminé à t’éliminer en cet instant,
Pourtant ses doigts avaient finit par faiblir.
Alors il avait souhaité, dans le peu d’honneur qu’il lui restait, que tu ne souffres plus autant.

Sans savoir si ça avait fonctionné et si son pouvoir s’était arrêté, il était resté là, penché au-dessus de toi les mains à ta gorge prêt à resserrer au moindre mouvement un peu trop brusque de ta part.

Je ne peux pas mourir.
Sans savoir si tu tentais de l’impressionner ou non, un ignorant sans doute aurait pu croire à de telles paroles, mais depuis qu’il savait -depuis qu’il était capable de mettre un mot sur la nature de ce que vous étiez (toi et sa chère cousine), il demeurait incapable de te croire. Alors ses mains avaient serré un peu plus fort, à peine, pour te faire comprendre de ne pas insister tant qu’il continuerait à se battre avec lui-même.

— Je suis déjà morte - imbécile !
— Tu ne l’es plus.

Tu ne l’étais plus car il semble que même la Mort t’avait rejetée, et de toi il ne subsistait plus qu’une carcasse vide d’humanité qu’on lui avait demandé de supprimer. Un démon sans coeur ni âme, un monstre venu du Gouffre pour semer l’Enfer lui avait-on dit. Pourtant une âme tu en avais car il lui semblait la voir dans la lueur de ton regard, et alors les doutes se faisaient plus grands, car toi, démon au visage d’ange, il ne savait plus comment te considérer.

Dans la pénombre soudaine que tu avais créée il eut cette impression étrange qu’à tout moment tu pouvais lui glisser entre les doigts, alors la prise à ta gorge s’était raffermie, autant en réponse à ta provocation qu’à sa crainte qui grandissait.

Car tu sais, démon, ce n’est pas de force dont il manquait.
D’instinct, d’envie, de compassion peut-être.
Mais jamais de force.

C’est ce qui lui avait permit de survivre jusqu’ici après tout.

— Pourquoi n’es-tu pas restée morte ?

Pourquoi étais-tu revenue hanter Valdore, dis ?
L’interrogation sonnait bien triste malgré le ton sec qu’il y avait insufflé, parce qu’il n’acceptait pas encore tout à fait cette chance d’être devenu quelqu’un.
Grâce à toi.
Malgré toi.

Il s’était fait violence pour ignorer tes genoux contre lui, sans cesser d’appuyer et il se sentait coupable, malgré la force mise dans son étreinte, de ne pas être capable de te tuer plus rapidement. Ça résonnait dans son coeur pour faire écho dans son âme, et il sentait sa cage thoracique se serrer à mesure que la sensation grandissait. De peur, d’amertume, de douleur peut-être, lui qui n’avait plus l’habitude de ressentir aussi intensément les émotions en avait oublié jusqu’à leur sens réel et profond.

Alors Séraphin s’était concentré sur ta voix qui perça l’obscurité en des cris saccadés qui lui arracha une grimace -le moindre mal tandis qu’il ne cessait de te tuer lentement. L’air te manquait et pourtant tu trouvais le moyen de hurler.

Tu n’étais pas morte, pauvre démon.
Si vivante encore qu’il en sentait tes ongles plantés dans sa peau et ton corps se débattre tandis qu’il s’exclamait trop fort pour la première fois de sa vie.

— TU N’EN AS PLUS LE DROIT !

Plus maintenant tu comprends ?

— LES MORTS NE REVIENNENT PAS À LA VIE T’ENTENDS ?

Dépassé par les événements il s’adressait à ta raison en désespoir de cause, et s’il savait que cela ne changerait rien, cela lui avait permis à lui de se calmer un peu. Parler plus fort que toi, hurler pour t’offrir ses pensées et ses idéaux comme pour te demander pardon d’ainsi t’assassiner.

Tu n’avais plus rien d’humain,
Tu ne pouvais pas rester là.

— Rentre chez toi.

La voix brisée d’avoir crié trop fort.
Retourne chez toi, douce enfant dont il ne veut pas connaître le nom.

Tu ne pouvais pas.
Tu ne pouvais pas lui demander de t’épargner et vouloir conquérir le monde
Tu ne pouvais pas lui demander de te tuer et t’imposer ainsi
Tu ne pouvais pas vouloir diriger sa vie comme il dirigeait la tienne car la sienne avait du sens, tu sais ? Lui était bien vivant, jamais il n’avait connu l’atrocité du coeur qui s’arrête puis reprend, du souffle qu’on retrouve après toute une vie sans. Il ne savait pas tout ça Séraphin, et malgré la douleur de l’entièreté de sa vie il avait conscience que tout ça faisait de lui un être-vivant.

Alors il aurait dû prendre cette lame à sa ceinture pour la planter droit dans ton coeur ; il aurait dû, si ça n’était pas suffisant, la planter dans chacun de tes yeux pour te rendre laide et empêcher sa compassion il aurait dû l’enfoncer dans ton crâne si malgré tout ça tu persistais à continuer de respirer. Pourtant ses mains n’avaient pas quitté ta gorge, et malgré sa détermination, nouvelle face à la menace que tu représentais (c’est qu’il comprenait désormais, pourquoi tu ne devais plus exister), il n’avait pu se saisir de cette lame pour en terminer.

Et aux portes d’une seconde mort tu avais souris sans qu’il ne puisse répondre à tes provocations. Oh tu sais, il l’avait fait en pensées mais trop occupé à ne pas se relâcher il avait jugé inutile de te raisonner. Tu ne l’écouterais pas de toute façon, pas vrai ? Parce qu’il ne t’écoutait pas non plus.

Il ne pouvait pas se permettre de le faire.
De t’écouter ni toi ni cette infime partie de son coeur.
Alors impuissant il n’avait pu qu’observer à la faible lueur l’ombre de ton sourire.

Avant que tout ne devienne noir,
Et qu’il ne meurt à ta place.
Sans un pardon à ton égard.