Te coller à la garde était d'un grand déshonneur. Surveiller était pourtant ta spécialité, mais c'était amer que tu exécutais ce que tu considérais comme la plus basse et inutile des tâches. L'ennui te gagnait à chaque pas que tu enfonçais dans la neige et les idées noires t'empoisonnaient à chaque souffle glacé qui s'échappait d'entre ta gorge pétrifiée.
Briserune n'avait jamais été très accueillant et le fait qu'il te faille supporter encore ce climat hostile était bien la preuve de ta détermination.

Errant dans les couloirs de ruines exiguës, tu avais pour mission de prévenir immédiatement la troupe de Idriss si des Malronçois venaient à se rendre en ces terres désolées. La provocation devait être punie et la fierté des Briseruniens rétablie.

A l'entente du claquement des sabots sur le givre, tu pris un peu de hauteur sur des remparts de pierre pour observer de plus prêt l'individu. La silhouette d'une femme dissimulée sous une cape t'interpella. Décidé à en avoir le coeur net (mais sans espoir fantasmé) tu t'interposas sur sa route.
Pétrifié, ta gorge se noua alors que tu lâchas ton arme. La respiration coupée, tu restas en apnée jusqu'à ce qu'elle descende de son cheval et hôte sa capuche.

Tu restas interdit et horrifié pendant de longues secondes, sans répondre à sa question. C'était impossible. Etait-ce une illusion, un mauvais tour qu'un magicien de passage s'amusait à te jouer ?

— « Ma... » Tu déglutis. « Majesté ? »

Tu te jetas à ses pieds, les larmes dévalant les joues. C'était le choc de la revoir après toutes les atrocités subies en son Nom.
C'était une déesse, la réincarnation d'un Arcane, la volonté de la Maison-Dieu bien décidé à te rendre la seule Reine en laquelle tu avais cru.

Les ongles enfoncés dans le verglas, tu aurais presque embrassé ses bottes alors que tu rampais pour te rapprocher d'elle.

— « Ma Reine, vous êtes en vie ! C'est un miracle ! »

Elle te rappelait soudainement que tu l'étais toi aussi.

Malgré la stupeur, elle arriva à t'arracher un rictus nerveux.
Pourquoi diable personne ne trouvait grâce à tes larmes ? Tu te relevas, essuyant grossièrement les sillons sur tes joues. Tu la toisas avec la même impertinence, avant de sourire bêtement - comme si tu étais amoureux.

— « Je dois rêver, c'est impossible. »

Comment pouvait-elle être en vie ? Et si n'avait-elle jamais péri, pourquoi avait-elle mit autant de temps à revenir parmi ceux qui ne l'attendaient plus ?
Tu te pinças en reniflant pour vérifier que tu ne t'étais pas assoupi à force d'errer.

— « J'ai bien failli y passer, votre Majesté. »

Tu n'écoutais rien, tu n'en faisais qu'à ta tête. Pour toi, elle restait reine et tant pis si elle régnerait sur un tas de ruines.
Tu resserras l'écharpe autour de ton cou pour le dissimuler. Personne - surtout pas elle - ne devait être au courant de la plus sombre de tes déchéances.
Tu resterais un morveux à ses yeux, un pleutre sans doute mais tu ne serais jamais plus bas que genou à terre.

— « J'ai décidé de revenir. Je voulais vous venger. »

Ça n'avait pas de sens.
Peut-être attendait-elle que tu lui parles de tes retrouvailles avec Idriss. Mais d'un coup, tu hésitas. Égoïste, tu voulais la garder pour toi. Un instant tu imaginas t'enfuir avec elle, trahissant déjà ce chevalier de malheur. Mais tu déglutis face à l'éventualité qu'elle puisse lire dans tes pensées.

— « Je cherchais Idriss. »

Elle patienterait encore un peu.

Tu entrouvris la bouche quand elle remonta sur son cheval. Les sourcils se froncèrent, et tu la jaugeas - indécente.
Allait-elle réellement repartir comme si de rien n'était ? Tu n'en croyais pas tes yeux. A peine réapparaissait-elle qu'elle comptait disparaitre de nouveau. Comme un mirage, comme un rêve duquel tu n'arrivais pas à t'extirper. Et là, il devenait peu à peu cauchemar.

— « Quoi ? Comment ? Vous repartez ? »

Un instant figé, les bras le long du corps, tu n'eus aucune réaction. Puis tes émotions chaotiques reprirent soudainement le contrôle de ton corps. Tu t'interposas devant le cheval, qui manqua de te piétiner alors que son hennissement paniqué t'indiqua qu'il allait te donner des coups de sabots. Ce qu'il ne se retint pas de faire.
Tu tombas dans la neige en te roulant par terre, te tenant les épaules en gémissant de douleur. Tu en faisais toujours trop, comment avais-tu pu t'en sortir déjà ?

— « J'ai retrouvé Idriss, j'ai retrouvé Idriss ! »

Les yeux fermés comme si tu étais déjà mort, tu t'étais roulé en boule dans la neige.
Après quelques secondes, tu te rendis compte que non seulement tu n'étais pas mort, mais en plus le cheval t'avait à peine touché - il demeurait paisible avec sa maitresse sur le dos.

Tu grimaças (honteux) et restas à terre.

— « Je peux vous conduire à lui. Ne m'abandonnez pas, pas encore s'il vous plait. J'ai besoin de vous ! »

Elle n'avait pas apprécié que tu omettes cette information capitale (quasi cruciale) mais tu ne pouvais t'empêcher de mentir pour protéger tes intérêts. Et le retour d'Antigone Bathory était sûrement - au delà d'être prophétique - un miracle que seules des personnes de confiance se devaient de savoir.

— « Mais je n'en ai pas eu le temps, vous alliez directement repartir ! »

Bougon d'avoir été facilement placé sur le bas côté, tu fronças les sourcils en fixant la main qu'elle te tendit avant de l'attraper fermement pour te hisser derrière elle.
Interloqué par sa remarque, tu questionnas, curieux :

— « Un compagnon ? Quel compagnon ? »

Tu t'accrochas sans réelle pudeur (quoique un peu gêné) à sa taille avant de regarder devant vous pour lui indiquer la direction.

— « Nous devons retourner au château de Brave, Majesté. »

Le cheval avançait lentement et tu fixais la ligne d'horizon derrière la carcasse du château de Brave. Le soleil couchant t'aveuglait de sa lumière chaude sur les étendues de neige. Ce qu'elle énonçait était trop vague, laissait place à l'imagination. Et le problème Valerian, c'est que tu n'en avais pas beaucoup. Tu ne percevais les informations que comme intérêts ou menaces.
Qui était ce conseiller qui lui avait sauvé la vie ? Et était-ce l'ancien qui avait tenté de lui prendre ? Trop de questions se bousculaient dans ton esprit, si bien que tu en oublias de répondre à la sienne.

— « Je... »

Tu toussas dans ton coude, crachant à moitié sur ton armure. Les raisons étaient multiples dans ta tête mais seule la vérité comptait pour de vrai : tu t'étais trop avancé, tu avais brisé les rangs des patrouilleurs pour tenter de gagner un peu de mérite (à tort, dans une prise de risque inutiles).

— « Je ne suis plus aussi faible que vous le pensez. Je suis capable de me défendre. Je n'ai pas besoin d'être couvert ! »

Ta tête penchait un peu vers l'avant, alors que tu gardais des yeux mi-clos en direction du château.

— « Son Altesse Idriss me fait confiance. J'ai eu l'honneur de recevoir mon ordre de mission de lui en personne. Je peux donner l'autorisation à des alliés rescapés de le rencontrer. »

Tu avais bombé le torse, resserrant très légèrement ta prise autour de sa taille. On ne te sentait peut-être pas autant avec l'armure.

— « Comme je le fais avec vous aujourd'hui. »

Oh Valerian, crois-tu vraiment qu'elle ait besoin de quelque chose d'aussi futile que de ton autorisation ?

Elle t'avait comme tu t'y étais attendu sorti une de ces phrases sages qui te faisaient lever les yeux au ciel. Grace à la Maison-Dieu, elle ne pouvait te voir vu que tu te tenais derrière elle. Pourquoi diable était-ce si compliqué que de reconnaitre que tu avais changé, grandi ? Que tu t'étais endurci.

— « Vos paroles débordent de sagesse votre Majesté. »

Et alors que tu avais avancé ton visage pour que vos regards se croisent un instant, tu avais étiré un sourire mielleux et captieux.
Une fois arrivé au château elle descendit la première et tu l'observas de haut, toujours installé sur la selle.

— « Vous le trouverez là où les vivants peuvent encore caresser les morts. »

Tu plissas les yeux, te rappelant qu'à un moment c'était elle que tu pleurais. Pendant des mois, tu avais fait le deuil d'une personne bien vivante. Et ça te serra le coeur.
Tu soupiras, et précisas, avant qu'elle ne s'impatiente :

— « Dans les cryptes du château. »

Tu sautas dans la neige et attrapas les rennes dans une main.

— « Je serais votre fidèle écuyer, n'ayez crainte pour votre monture. Vous pouvez y descendre l'esprit tranquille. »

Et tu baissas la tête pour t'incliner, une dernière fois.