Grandvent qui n'a pas manqué mais Grandvent séjour obligatoire pour remplir la mission qu'on lui a donné –
combien de mois déjà, qu'elle évite sciemment cet endroit, Sixtine comme en cavale ne sort qu'encapuchonnée lorsqu'elle s'y rend par peur
de le croiser ;
quoique la peur est un mot fort c'est plutôt le palpitant qui s'emballe à l'idée d'affronter sa colère et peut-être, peut-être quelques regrets également quant à la façon dont cette deuxième séparation s'est déroulée.
c'est à dire en claquant la porte et sans prévenir qu'elle partait ;

mais suffit, de ressasser le passé !
Sixtine bourrée n'a que faire de le croiser – en est persuadée, alors qu'elle boit son troisième verre de la soirée ;
— Attends désolée, c'est quoi ton prénom déjà ?
penchée sur le bar, elle s'adresse à l'homme derrière qui semble s'amuser de son ébriété ;
— « Michel ? » Aïe, dur à porter non ? Sers moi donc un hydromel, veux-tu Michel ♪
voix chantante qui fait trembler la gorge agréablement, elle en oublie totalement ses craintes d'avant –
et le regrettera amèrement, en réalisant que la porte s'est ouverte derrière elle pour laisser entrer nul autre que son ex-époux,
très certainement courroucé.

((souvenirs de votre relation
où les cris avaient remplacé la discussion
ironiquement les seuls moments où, l'un comme l'autre,
vous faisiez preuve de compréhension))

comme un instinct animal, elle a un frisson qui lui remonte toute la colonne vertébrale
trop tard

à peine le temps de faire volte-face lorsqu’elle sent les pas lourds derrière elle et le tabouret qui tremble à chacun d’entre eux ; le verre qui finit au sol en éclats – son dont Sixtine ne raffole pas – elle lève la tête et entend la voix –
plusieurs secondes, reste interdite et n’y croit pas.
n’enregistre aucune des phrases qu’il prononce car – enfer – trop occupée à admirer les courbes de sa mâchoire et les cernes sous ses prunelles ambrés, trop occupée à constater qu’il n’a absolument p a s changé
dans son physique comme ses colères injustifiées ; le temps qu’il engueule le pauvre homme au bar, les neurones de Sixtine se sont connectés et
refusant de céder à la colère – en réalité choquée à l’excès et donc incapable de s’énerver, elle reste vissée à son tabouret et se tourne nonchalamment vers lui :
—  Tiens c’est marrant, j’ignorais qu’avoir de mes nouvelles t’intéressait vu que lorsqu’on était mariés, tu ne prenais pas la peine de me parler.
elle commande un nouveau verre qu’elle descend en une gorgée et – ça y est, la routine des deux divorcés, elle se lève de son tabouret et main sur le torse du Cresson – scène ridicule car Sixtine est minuscule – elle y enfonce son index à répétition :
— Alors de un, coup de doigt, tu viens te bourrer la gueule ici aussi je parie, coup de doigt. De deux, on est divorcés, coup de doigt, donc je courtise tout Valdore si j’veux. coup de doigt. De trois –
elle tangue brièvement sur la gauche et se ressaisit, fixe le visage de Digory et finit par s’exclamer, comme si elle avait trouvé ce qu’elle cherchait ;
— J’EN ETAIS SÛRE. T’as encore oublié de manger et tu viens picoler à la place ! Tu es INFERNAL !
lui attrape le col sur la pointe des pieds et fait de son mieux pour l’intimider.

la tentation forte
si forte
Sixtine marmonne entre ses dents un « jamais deux sans trois » en espérant à moitié qu'il entendra, l'autre moitié pas – trop énervé qu'il est déjà, elle connaît la rengaine de toute façon et c'est sans gêne qu'elle croise les bras, tournant la tête comme si elle n'écoutait pas ;

du coin de l'oeil cependant, elle surveille lorsqu'il commande un verre plutôt qu'un repas – le culot ! boire alors qu'il n'a rien dans le ventre, c'est la porte ouverte à son humeur de chien, comme autrefois
comme toujours
car
Sixtine ne s'y fait pas – si la parole ne trahit rien, elle souffre pourtant de se tenir aussi près de Digory.
l'ironie d'écouter volontiers les doléances du cœur de chacun sauf les siennes, car ces dernières lui soufflent fort qu'elle ressent quelque chose pour le forgeron et pour un pardon à peine, elle retombe dans ses bras en un claquement de doigts ;
— J'aurais au moins eu l'occasion de voir enfin une expression sur ton visage autre que ton tirage de gueule habituel, j'y penserai la prochaine fois.
((parce qu'il y en aura
routine malsaine entre toi et moi))
— Ca dépend, tu veux le nom duquel ? Il y en a eu plusieurs, depuis.
Sixtine
n'hésite pas
à le blesser pour taire son cœur qui lui hurle de s'excuser et y retourner – Digory comme elle savent que c'est la pire chose à faire, incapable de s'aimer convenablement, alors pourquoi
pourquoi ces sentiments quand elle le regarde être jaloux – encore maintenant

Sixtine aime terriblement son ex-époux.
— Et toi alors, tu fais l'innocent mais combien de femmes depuis que je suis partie ? Déjà que tu revenais avec des suçons avant, qu'est-ce que ça doit être maintenant !
commande un autre verre qu'elle descend,
elle n'a pas assez bu, clairement.

« Tu me fais marrer. »

et
elle reconnaît au ton que Digory est excédé – sait comment ça va finir sait qu'elle ne veut pas entendre ce qu'il a à dire sait
qu'elle va s'énerver aussi, l'alcool qui monte lentement de l'estomac jusqu'à la gorge ; il parle et Sixtine
garde le silence.
c'aurait été plus facile de tout nier, lui dire que ce n'est qu'un con et qu'il ne la méritait pas de toute façon mais combien c o m b i e n de fois s'est-elle regardé dans le miroir depuis son départ, écœurée par sa propre réflexion ; parce qu'elle savait que partir sans rien dire n'était pas la solution, qu'ils auraient pu – dû – discuter comme les adultes qu'ils sont
savaient aussi ((encore)) que cela n'aurait mené à rien
rien de bon, pour eux, couple bancal précipité
et pourtant

pourtant

elle l'aime tant – c'est les larmes qui menacent de naître au coin dans l'oeil quand il lui assène vérité sur vérité avec un venin auquel elle n'était pas – plus – préparé et Sixtine ne dit mot, attend.
— C'est bon, t'as fini ?
voix sereine – Digory la connait, elle aussi, celle qui présage une tempête. elle prend sa chope et, d'un mouvement vif, en déverse le contenu sur lui.
— Espèce de sombre con. Vraiment le roi des tocards, putain, Cresson, je te méprise.
((t'aime à la folie))
— C'est bien, félicitations, t'as appris à t'exprimer depuis que j'suis partie. Tu vois toutes ces choses que t'aurais pu me dire avant qu'on en arrive là, que j'claque la porte pas une mais DEUX FOIS. Donc tu sais quoi, t'as raison, c'était ma meilleure décision de me barrer loin de toi et ton mutisme sélectif ! Parce que quand j'avais besoin de quelqu'un à qui parler, quand je voulais t'écouter, y avait personne, mais quand il s'agit de tout me renvoyer dans la gueule, là, monsieur se réveille !
toujours plus haut dans les octaves Sixtine ne contrôle rien – jamais, avec lui, à sentiments passionnés disputes passionnels ;
et à un moment dans sa tirade, sans le réaliser, elle a saisi la veste de Digory – de ses maigres bras le tire pour que son visage soit au niveau du sien, sans qu'aucun n'ait quitté leur tabouret –
— J'ai jamais voulu que tu partes mais t'as jamais rien fait POUR QUE JE RESTE !

((ne
pars

pas))

Sixtine écoute à cœur ouvert cœur qui saigne les reproches que Digory a à lui faire – détourne les yeux lorsqu'il dit que rien n'aurait changé ((c'est vrai)) – mord sa lèvre lorsqu'il l'accuse de fuir ses problèmes ((c'est vrai)) – pivote sèchement la tête pour capter son regard lorsqu'il dit avoir fini ((c'est faux)) –
— Je n'ai fait que ça ! Mais tu ne parlais pas, jamais, toujours... Toujours occupé, tu ne disais rien !
les mains chassées viennent à nouveau saisir la veste et le tirer vers elle, mais cette fois-ci c'est elle qui franchit les derniers centimètres pour déposer ses lèvres sur les siennes ;
désespérée, la pauvre, sans bien savoir ce qu'elle ressent si ce n'est de l'amour et de la haine, de l'envie et de la peine – ils n'y arriveront jamais, elle le sait
et pourtant
pourtant encore le baiser ravive tout en elle – apaise cette soif que personne d'autre ne sait étancher, depuis qu'elle l'a quitté
Sixtine a mal au coeur et prie toujours à l'autel de leur passé ((ne pars pas))
vénère l'amour aussi mauvais qu'il soit
((pourvu que ce soit toi))

ignore les secondes – minutes – le temps qui suit pourvu qu'il dure à l'infini, que ce soir encore, Digory aime Sixtine et Sixtine aime Digory.
comme ils se l'étaient pour l'éternité promis.